Quelles plantes pour remplacer l’arnica menacée d’extinction ?
L’été rime souvent avec cueillette de l’arnica (Arnica montana), largement connue et plébiscitée aujourd’hui dans le soin des hématomes et des contusions. Toutefois, cette plante est aujourd’hui menacée pour plusieurs raisons, telles que les méthodes agricoles, le changement climatique et la cueillette intensive. La France et la Roumanie serait les pays où l’arnica sauvage est récoltée en quantité significative pour alimenter le marché mondial.
Le massif du Markstein, situé dans les Vosges, représente 90 % de la production sauvage française d’arnica. Afin de préserver cette ressource, un plan de gestion a été instauré dans les années 2000, impliquant les municipalités, les agriculteurs, les responsables du Parc naturel régional des Ballons des Vosges, ainsi que les laboratoires et les récolteurs. Malheureusement, ces mesures n’ont pas suffi : les pratiques agricoles, en particulier la fertilisation des sols, ont considérablement affecté l’écosystème de la région, entravant la régénération de cette plante après chaque récolte annuelle.
En 2024, la collecte d’arnica dans le massif du Markstein demeure interdite, marquant ainsi la quatrième année de restriction. Cette situation incite les cueilleurs à se déplacer vers d’autres massifs en France, comme l’Aubrac, le Cantal, le Puy de Dôme et les Pyrénées, qui sont devenus de nouveaux lieux de cueillette. La majorité de ces sites ne sont pas surveillées, menant à un nouveau pillage des ressources. Selon l’AFC, cette exploitation illégale serait effectuée par des cueilleurs indépendants ou des saisonniers travaillant pour des entreprises peu éthiques. Ceux-ci sont envoyés sur des sites qu’ils ne connaissent pas, sans le consentement des propriétaires, et sont motivés uniquement par la quantité à récolter, exerçant ainsi une pression supplémentaire sur une ressource déjà fragile…
Avant d’envisager quelques alternatives durables à l’arnica, il est important d’analyser ses constituants et les données pharmacologiques dont nous disposons afin de considérer quelles sont les plantes qui peuvent avoir un usage similaire sur bases de preuves tangibles, que les sources soient traditionnelles ou scientifiques.
Arnica : Habitat, histoire et Propriétés
L’arnica fleurit de mai à août, à des altitudes variant de 600 à 2800 mètres, principalement dans les pâturages de montagne, où elle préfère les sols pauvres mais riches en silice.
L’arnica n’était pas connue des anciens. Elle est mentionnée au XIIe siècle par sainte Hildegarde et plus tard par Matthiole au XVIe siècle, avant de sombrer dans l’oubli. C’est au XIXe siècle que Cazin tente de la réhabiliter en évoquant les nombreux témoignages médicaux sur son utilisation pour traiter diverses pathologies.
Également surnommée « l’herbe aux chutes », l’arnica est particulièrement appréciée pour ses effets bénéfiques contre les contusions et les écorchures. Traditionnellement, on attribue à l’arnica des propriétés anti-inflammatoires, analgésiques et anti-ecchymotiques. Elle est utilisée dans le traitement des traumatismes entraînant inflammation ou saignement interne, tels que les ecchymoses, les contusions et les foulures des articulations.
L’arnica et ses préparations sont réservées à une utilisation externe en raison d’une certaine toxicité lorsqu’elle est consommée en interne. Une forme fréquente d’utilisation est la teinture diluée dans de l’eau ou de l’alcool, appliquée localement sur les zones à traiter.
Pharmacognosie
Les fleurs d’arnica contiennent un minimum de 0,40 % de lactones sesquiterpéniques, exprimées en tiglate d’hélénaline. Pour produire la teinture d’arnica, on utilise un ratio d’un pour 10 dans de l’alcool à 60-70 %, cette teinture contenant ainsi au moins 0,04 % de lactones sesquiterpéniques.
La coloration du capitule est due à la présence de caroténoïdes. Son odeur provient d’huiles essentielles, présentes à raison de 2 à 5 ml par kilo, qui renferment notamment des terpènes et des dérivés du thymol. L’amertume de l’arnica est attribuée aux lactones sesquiterpéniques, dont la proportion varie selon l’origine géographique (Europe centrale et Espagne). On note également la présence de triterpénoïdes, de phytostérols, d’acides gras, d’alcanes, de polysaccharides, d’acides phénoliques, de coumarines, de polyines, et de flavonoïdes hétérosides, tels que l’hispiduline, la palutéine, le bétulétol, la spinacétine et la quercétagénine. La composition en dérivés phénoliques est influencée par l’altitude.
La composition de l’arnica inclut 0,30 à 1 % d’hélénaline et ses esters, responsables de son amertume, ainsi que des flavonoïdes (0,4 à 0,6 %, isoquercitróside, astragoloside), une huile essentielle, des dérivés du thymol, des mono- et sesquiterpènes, des coumarines (ombelliférone), des caroténoïdes colorant les pétales, et des alcaloïdes pyrrolizidiniques (tussilagine, isotussilagine).
L’Arnica chamissonis peut être plus riche en lactones (jusqu’à 1,5 %) et contient, en plus des composés précédents, de l’arnifoline et des chamissonolides. Les proportions des différents composés peuvent varier. Les deux espèces diffèrent également par leur composition en flavonoïdes, A. chamissonis se distinguant par la présence d’hétérosides de flavonoïdes acylés.
Il est important de noter que l’usage de l’arnica n’est pas recommandé avant l’âge de 12 ans et est contre-indiqué chez les femmes enceintes ou allaitantes, ainsi qu’en cas d’hypersensibilité aux astéracées.
Par ailleurs, il faut savoir que la plupart des ecchymoses se résorbent spontanément et que l’application de froid dans les quarante-huit premières heures suffit, ainsi nous pouvons garder l’usage de plantes (surtout quand elles sont menacées) pour les cas les plus sérieux.
Quelle plantes pour remplacer l’arnica ?
Anthyllide vulnéraire – Anthyllis vulneraria L.
Noms populaires : Trèfle jaune, triolet jaune, trèfles jaunes des sables, Arnica (par confusion), Vulneraria
Vulneraria était le nom populaire de la plante, passé dans le vocabulaire des officines, puis introduit dans la science botanique par Bauhin (1650).
L’anthyllide est une plante vivace, fleurissant tout l’été, à la racine pivotante donnant naissance à une touffe de feuilles. Elle se rencontre dans les plaines de hautes montagnes, surtout en terrain calcaire, dans toute la France et peu près partout en Europe.
Passée inaperçu des anciens et du Moyen âge, l’Anthyllide est fréquemment employée dans les campagnes, surtout des régions méridionales, en infusion ou en cataplasme, pour guérir les contusions, les plaies récentes, es blessures. On l’emploie en infusion ou en décoction pour prévenir les suites de chutes ou de commotions, ou encore pilée fraîche en applications pour hâter les cicatrisations des plaies, guérir les contusions.
On trouve dans l’Anthyllide du tanins, des saponines, des mucilages, et dans les fleurs de la xanthophylle et dans l’anthocyane.
Inule des montagnes – Inula montana L.
Noms populaires : Aunée des montagnes, plantes à la lumière du soleil, Arnica de Provence
L’inule des montagnes est une plante apparemment très utilisée dans la médecine traditionnelle provençale au même titre que l’arnica montana. Tout comme l’arnica, elle fait partie de la famille des Asteraceae. Elle pousse par contre plutôt sur des terrains secs, arides et calcaires, notamment autour du bassin méditerranéen. Inula montana semblerait comporter les mêmes classes chimiques de métabolites que celles de l’Arnica montana, à savoir des lactones sesquiterpéniques, des acides phénols, et des flavonoïdes.
Au Maroc elle serait utilisée sous forme d’infusion pour divers usages, et en Espagne elle est également connue dans le traitements des contusions et ecchymoses, comme anti-inflammatoire, où elle est préparé avec de l’huile d’olive. Elle y est utilisée et préparée également pour de nombreux autres usages.
Bien qu’à ce jour nous ne disposons pas d’études suffisantes confirmant ces usages, la présence de costunolide (lactone sesquiterpénique) et de composés phénoliques pourraient justifier ses propriétés anti-inflammatoires et anti-traumatiques.
L’hélichryse italienne –Helichrysum italicum
Noms populaires : Immortelle
L’hélichryse italienne, et particulièrement son huile essentielle, est bien connue pour ses activités anti-hématome et anti-ecchymotique puissantes, et qui serait supérieure à celle de l’arnica.
Les cétones d’Helichrysum italicum sont représentées par la présence d’italidiones I, II et III. Le taux d’italidiones est important car ces molécules sont anticoagulantes, propriété pour laquelle l’huile essentielle d’Helichrysum italicum est indispensable en aromathérapie (1).
L’huile essentielle d’hélichryse aurait également des propriétés antiocoagulante, antiphlébitique et cicatrisante.
D’autres plantes complémentaires
En herboristerie et phytothérapie sont souvent citées d’autres plantes comme la pâquerette, l’achillée millefeuille ou encore le millepertuis en alternative à l’arnica. Je suis moins de cet avis car ces plantes ne présentent pas de propriétés anti-hématome et anti-écchymose comme peut lêtre l’arnica. Néanmoins elles présentent quelques activités intéressantes complémentaires.
Enfin, il est important de se rappeler quand la majorité des cas, un hématome disparaît de lui même, et un simple passage sous l’eau froide suffit à calmer et atténuer le choc. Nous pouvons donc n’utiliser les plantes qu’en cas de stricte nécessaire afin de préserver les plantes sauvages et notre précieuses biodiversité.
La pâquerette – Bellis perennis
La pâquerette est souvent citée ces dernières années comme alternative à l’arnica. Pourtant il existe très peu de sources ou elle est présenté comme une plante utile dans le traitement des hématomes et des contusions. On la cite fréquemment comme diurétique, dépurative, émolliente, adoucissante, rafraîchissante, et laxative (Fournier). Mais la littérature « empirique et traditionnelle » ne semble mentionner nullepart un usage similaire à l’arnica.
C’est du côté de l’homéopathie que la pâquerette (en teinture de plantes fraîches) est mentionnée dans les cas de contusions et hématomes. Mais aucune source n’explique cette usage. Par ailleurs, l’homéopathie repose sur des fondations très différentes de la phytothérapie. A part l’usage de plantes dans de l’alcool, les similitudes s’arrêtent là. Rappelons que l’homéopathie, ce n’est pas juste des teintures de plantes diluées. Les fondements de cette médecine développée par Hanneman repose sur la théorie des semblables (dont l’usage de plantes toxiques, et il ne nous viendraient pas à l’idée de les utiliser en phytothérapie), le principe de la dilution et de la dynamisation. Prendre une partie de ce qui nous arrange dans un courant thérapeutique et l’adapter à un autre courant thérapeutique semble assez hasardeux et ne permet pas vraiment de justifier l’usage d’une plante sans en comprendre les fondements.
Du côté de la recherche scientifique, la pâquerette est mentionnée comme ayant une forte activité sur la production de collagène, grâce à la présence de saponines. Un article a déjà été partagé sur le sujet via ce blog.
La production de collagène peut faire partie du processus de résorption d’un hématome, bien qu’elle ne soit pas la principale étape de résorption elle-même. Le collagène est une protéine qui joue un rôle essentiel dans la réparation des tissus. Lorsqu’un hématome se forme, le corps initie un processus de guérison qui inclut l’inflammation, la dégradation du sang coagulé, et la régénération des tissus.
À mesure que l’hématome se résorbe et que les cellules immunitaires nettoient la zone, des fibroblastes (cellules responsables de la production de collagène) peuvent être activés pour aider à réparer les tissus environnants. Cela implique la synthèse de collagène pour renforcer la structure tissulaire et favoriser la guérison. Par conséquent, bien que la production de collagène ne soit pas directement liée à la résorption de l’hématome lui-même, cette propriété de la pâquerette peut aider en deuxième phase à la régénération et la guérison des tissus après que l’hématome ait été résorbé.
Mais la pâquerette n’agit pas particulièrement sur la coagulation du sang comme semble le faire l’arnica ou encore l’hélichryse.
L’achillée millefeuille (Achillea millefolium L.) et le millepertuis (Hypericum perforatum L.)
L’achillée millefeuille présente essentiellement une activité cicatrisante, anti-inflammatoire et hémostatique.
L’huile essentielle semblerait avoir une activité plus spécifique sur les hématomes et les contusions, mais moins efficace que l’hélichryse. Il existe par contre un très grand nombre de sous-espèces qu’il est difficile d’identifier, ce qui explique par exemple la présence de chamazulène – huile essentielle bleutée – lors de la distillation de certaines plantes cueillies à un endroit alors que l’achillée d’un autre site donnera une huile essentielle plutôt jaune. Cela affecte inévitablement leur activité pharmacologique et donc l’effet recherché.
Le millepertuis aura plutôt une activité anti-inflammatoire et vulnéraire. Son action n’agit pas directement dans la résorption des hématomes, donc au niveau sanguin, mais plutôt au niveau des nerfs, et pourra éventuellement avoir un certain effet sur la douleur, en plus d’aider à la cicatrisation si il y a présence d’une plaie. On dit que l’arnica est au vaisseau sanguin ce que le millepertuis est aux nerfs ! Ces deux plantes peuvent donc être éventuellement complémentaires, mais pas interchangeables.
Cultiver l’arnica, une solution ?
La mise en culture de l’arnica montana ou de l’arnica chamissonis est souvent présentée comme une solution, néanmoins leurs mises en culture pour satisfaire la demande reste difficile. L’arnica n’est pas simple à faire pousser, et aime les sols plutôt pauvre et riche en silice. Elle a également besoin d’être cultivée en altitude. Sans ses paramètres, la plante risque de ne pas développer les métabolites secondaires responsables de ses propriétés thérapeutiques, et donc de n’avoir aucune efficacité.
Sources
(1) https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00839947/document
https://www.wikiphyto.org/wiki/H%C3%A9lichryse_italienne
https://www.wikiphyto.org/wiki/Arnica
https://www.wikiphyto.org/wiki/Achill%C3%A9e_mille-feuille#cite_note-38
Les données sur l’Inula Montana viennent essentiellement de la revue Ethnopharmacologie n°65
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9434600/
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0031942215001727
Traité pratique de phytothérapie, Jean-Michel Morel
Pharmanognosie, phytochimie des plantes médicinales, Jean Bruneton
Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, Paul-Victor Fournier
Du bon usage des plantes qui soignent, Jacques Fleurentin
2 commentaires
Bonjour Jess, je te suivais sur Facebook et c’est un vrai bonheur de pouvoir continuer à profiter de ton savoir et de ta sensibilité !
J’ai une question sur cet article autour de l’arnica. Depuis de nombreuses années je fais pousser et j’utilise la Rue (Ruta graveolens) comme substitut à l’arnica. J’en fais une alcoolature qui me sert essentiellement à faire un beaume. C’est une plante qui a était très présente dans les jardins médiévaux, on l’appelait « l’herbe à la femme battue. » Il semble qu’elle ait les mêmes propriétés (et les mêmes précautions d’utilisation) que l’arnica. D’où ma surprise de ne pas la voir mentionnée dans cet article. La connais-tu ?
Merci ! Corinne
Bonjour, La Ruta graveolens est un remède surtout utilisé en homéopathie, donc la réflexion est la même que pour la pâquerette. L’homéopathie n’est pas de la phytothérapie et on ne peut pas transposer une materia medica d’un courant de pensée à un autre autre.
En dehors de cela, il y a peut d’études qui confirme les usages de cette plante, donc difficile de confirmer quoi que ce soit.
Pour ma part ce n’est pas le premier remède que j’utiliserai étant sa toxicité importante et qu’il est possible d’utiliser d’autres plantes très intéressantes et tout aussi puissante.